Patrice Ferrasse, terrain glissant

Ici, j'ai choisi de parler d'un seul de ces artistes, Patrice Ferrasse, parce que je suis son travail depuis bientôt dix ans et qu'il ne cesse de m'étonner. Je l'ai connu comme inventeur d'ustensiles poétiques et ludiques (le téléphone- tournesol, le lustre-oiseau), puis comme décrypteur des gestes quotidiens qu'il essaie de piéger dans des œuvres qui sont autant de miroirs déformants ou autocritiques de nos attitudes, ou encore de cette incontournable "machine à souhaits" qui a aidé les Bordelais à passer le cap du millénaire. Pour Alliages 2001, Patrice Ferrasse s'est associé avec les Signaux Girod, Bellefontaine, pour réaliser des pastiches de panneaux de signalisation routière qui sont mis en place et en situation dans des endroits névralgiques.

Patrice Ferrasse, installation

La devise des Signaux Girod est : Le bon sens industriel. Le bon sens étant naturellement partagé par les automobilistes soucieux du code de la route et de bonne conduite. L'artiste n'a pas pris le contre-pied des codes en cours de validité, ce qui serait d'ailleurs de mauvais goût vis-à-vis de son sponsor. Il a plutôt créé des situations de débordements imaginatifs. Il est parti, me semble-t-il, du sens signalétique et sémantique de l'objet panneau pour l'enrichir de dérives rêveuses ou souriantes qui donnent un nouveau regard sur le code sans l'annuler. En somme, Patrice Ferrasse surcode le code sans le décoder. Il fait sortir de leur cadre ces personnages placides et impersonnels qui jalonnent nos routes, (l'enfant qui indique la proximité d'une école, le traverseur de passage piétonnier), il leur restitue leur taille humaine, il les extrait de leur cadre circulaire ou triangulaire et il les place dans un entourage insolite. C'est irrésistible et c'est fait avec les mêmes moyens que les signaux réguliers, normalisés. Exemple : l'image conventionnelle de la bagnole à l'arrêt, légendée stationnement autorisé, s'est enrichie d'une Belle de trottoir aux seins généreux qui attend l'automobiliste. Dans le panneau d'interdiction de transports de matières inflammables, le camion a disparu du paysage, le danger est là, sous forme d'une main qui tient un pistolet, accompagné de l'onde de la déflagration. Cette main, grandie à la taille humaine, s'installe au bord de la route de tous les dangers.

Patrice Ferrasse, panneau

Patrice Ferrasse fait un pas de plus dans son engagement. Il s'immisce dans le panorama, comme il dit. L'automobiliste qui s'arrête devant la belle aguicheuse, c'est lui, ou plutôt son double photographique. De même que le gros méchant loup qui pourchasse l'enfant sur le chemin des écoliers, ou encore ce chauffeur condamné à tourner en rond indéfiniment dans un sens giratoire obligatoire.

A l'interférence des arts plastiques, du graphisme d'utilité publique et de l'intervention urbaine, Patrice Ferrasse continue de déployer pour notre plaisir son univers ludique. Il est fort heureux qu'une entreprise industrielle ait accepté de faire un bout de chemin avec lui, donnant un exemple de l'association artistes/entreprises.

Michel Ellenberger, novembre 2001.